« La Belgique en fait-elle assez ou non ? »
La question de ces derniers jours à propos du rapatriement des belges qui travaillaient en Afghanistan et de leurs collaborateurs afghans a fait le tour des médias, et est encore à l’heure actuelle fort discutée dans l’opinion publique – les réseaux sociaux.
En fait-elle assez ou trop, notre petite Belgique qui
accueille déjà -surtout dans les grandes villes, la capitale, un nombre assez
important, proportionnellement parlant, de personnes issues de l’immigration (officielle
ou clandestine) et qui, au plus fort de la crise des réfugiés en 2015 a offert
la protection et le droit de séjour à 10.783 demandeurs d’asile (15.478 en 2016,
9.033 en 2017…). Cet afflux était consécutif à une crise humanitaire mondiale
d’une gravité exceptionnelle, amplifiée par le conflit en Syrie. Depuis, la
question de la protection internationale et de l’accueil à offrir aux réfugiés
est au cœur d’importants débats mobilisant monde politique, médias et citoyens.
Le départ des troupes américaines et européennes et la prise de pouvoir des
talibans en Afghanistan a fait craindre un nouvel exode massif de déracinés
dans nos contrées surpeuplées.
À côté de certains discours nauséabonds (extrémistes) évoquant
la couleur de peau des belges binationaux rapatriés en catastrophe, d’autres arguaient
des problèmes rencontrés par les populations précarisées de notre pays,
frappées par les inondations dévastatrices et meurtrières de juillet, pour exprimer
fortement « qu’on ferait mieux de s’occuper d’aider et de reloger ceux
qui ont tout perdu chez nous, plutôt que d’amener de nouveaux ‘mendiants’ sur
notre territoire ».
Il faut quand même mettre les choses en perspective. Fin
2014, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) estimait
le nombre de déplacés dans le monde à 59,5 millions de personnes,
chiffre en augmentation constante. Les rapatriés d’aujourd’hui sont donc une
goutte d’eau dans la mer. Partout dans le monde, les persécutions, les
conflits, la violence et les violations des droits de l'homme contraignent les
gens à fuir. Il n’y a pas que la misère, ce qui en soit est déjà un motif sinon
reconnu, du moins compréhensible, de fuir son pays.
Quand la vie est en jeu, la santé ou l’exercice des
droits humains fondamentaux, on n’a pas le choix. J’ai été bouleversé
par les images montrant des mères afghanes n’ayant pas les papiers nécessaires
pour être exfiltrés et savaient qu’elles ne pourraient pas partir, passer leur
enfant par dessus les barrages et les murs barbelés de l’aéroport de Kaboul aux
soldats US qui les prenaient dans leurs bras pour les emmener dans l’enceinte.
Déchirant ! Je conseille à ceux qui
claironnent que les afghans (ou les soudanais, les birmans, etc…) n’ont qu’à
rester chez eux « puisque c’est eux qui ont démoli leur pays »
d’aller un peu voir sur place ce qu’est un régime dirigé par des fanatiques ou
des corrompus. Nous ne réalisons pas assez notre chance de vivre dans un pays
démocratique ! Avons-nous le droit de refuser l’asile à ceux qui se sont
mis en danger parce qu’ils ont voulu s’engager pour promouvoir les droits des
femmes, l’éducation, le respect des minorités, la liberté religieuse…?
Bien sûr, il ne faut pas pour autant que l’Etat belge ou
ses représentants n’assument pas leurs responsabilités vis-à-vis des citoyens qui
chez nous vivent de profondes difficultés à cause des catastrophes comme les
inondations ou des crises économiques et sociales et qui n’arrivent pas à s’en
sortir. Le devoir humanitaire ne dispense pas des autres devoirs que la collectivité
a envers ses membres les plus fragiles.
Soyons lucides. Nous, belges, ne pouvons pas à nous
seuls accueillir tous les réfugiés qui cherchent une possible autre vie dans un
pays sûr. Ni l’Italie, l’Espagne ou la Grèce non plus, qui sont en première
ligne. L’Europe doit s’entendre sur la capacité de chacun d’accueillir et d’intégrer
ces flux – ce qu’elle ne fait pas pour l’instant. Mais la question fondamentale
– si nous voulons encore pouvoir nous regarder en face –, doit être celle-ci :
si nous croyons en ces valeurs universelles qui fondent notre démocratie et
garantissent nos libertés, ne devons-nous pas aider et soutenir ceux qui
luttent dans tous les continents pour défendre les droits humains (sans
vouloir leur imposer notre modèle économique néocapitaliste) ? Arrêter de
soutenir des régimes corrompus ou totalitaires en interdisant le commerce avec
eux, par exemple… Amnesty International ne cesse d’interpeller dans ce
sens. Ce sont les injustices du passé (comme la colonisation) qui souvent ont débouché
sur ces situations dont nous sommes en partie responsables, et qui si nous les
ignorons, finissent par dégénérer en zones d’instabilité chronique qui minent
les équilibres mondiaux et provoquent tant de souffrances. Les phénomènes
migratoires ne vont pas cesser de sitôt, amplifiés qu’ils sont déjà par la crise
climatique. Se préparer à changer nos modes de vie n’est pas une option : la
raison nous l’impose, et pour les chrétiens, la Foi en une humanité où chacun
est pour l’autre visage de Dieu.
Il faut cesser l’indifférence ! Essayons la
justice !
Bernard Pönsgen