Article sélectionné

jeudi 26 août 2021

CARTE BLANCHE : TROP D'AFGHANS ?






« La Belgique en fait-elle assez ou non ? » 

La question de ces derniers jours à propos du rapatriement des belges qui travaillaient en Afghanistan et de leurs collaborateurs afghans a fait le tour des médias, et est encore à l’heure actuelle fort discutée dans l’opinion publique – les réseaux sociaux.

En fait-elle assez ou trop, notre petite Belgique qui accueille déjà -surtout dans les grandes villes, la capitale, un nombre assez important, proportionnellement parlant, de personnes issues de l’immigration (officielle ou clandestine) et qui, au plus fort de la crise des réfugiés en 2015 a offert la protection et le droit de séjour à 10.783 demandeurs d’asile (15.478 en 2016, 9.033 en 2017…). Cet afflux était consécutif à une crise humanitaire mondiale d’une gravité exceptionnelle, amplifiée par le conflit en Syrie. Depuis, la question de la protection internationale et de l’accueil à offrir aux réfugiés est au cœur d’importants débats mobilisant monde politique, médias et citoyens. Le départ des troupes américaines et européennes et la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan a fait craindre un nouvel exode massif de déracinés dans nos contrées surpeuplées.

À côté de certains discours nauséabonds (extrémistes) évoquant la couleur de peau des belges binationaux rapatriés en catastrophe, d’autres arguaient des problèmes rencontrés par les populations précarisées de notre pays, frappées par les inondations dévastatrices et meurtrières de juillet, pour exprimer fortement « qu’on ferait mieux de s’occuper d’aider et de reloger ceux qui ont tout perdu chez nous, plutôt que d’amener de nouveaux ‘mendiants’ sur notre territoire ».

Il faut quand même mettre les choses en perspective. Fin 2014, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) estimait le nombre de déplacés dans le monde à 59,5 millions de personnes, chiffre en augmentation constante. Les rapatriés d’aujourd’hui sont donc une goutte d’eau dans la mer. Partout dans le monde, les persécutions, les conflits, la violence et les violations des droits de l'homme contraignent les gens à fuir. Il n’y a pas que la misère, ce qui en soit est déjà un motif sinon reconnu, du moins compréhensible, de fuir son pays.

Quand la vie est en jeu, la santé ou l’exercice des droits humains fondamentaux, on n’a pas le choix. J’ai été bouleversé par les images montrant des mères afghanes n’ayant pas les papiers nécessaires pour être exfiltrés et savaient qu’elles ne pourraient pas partir, passer leur enfant par dessus les barrages et les murs barbelés de l’aéroport de Kaboul aux soldats US qui les prenaient dans leurs bras pour les emmener dans l’enceinte. Déchirant !  Je conseille à ceux qui claironnent que les afghans (ou les soudanais, les birmans, etc…) n’ont qu’à rester chez eux « puisque c’est eux qui ont démoli leur pays » d’aller un peu voir sur place ce qu’est un régime dirigé par des fanatiques ou des corrompus. Nous ne réalisons pas assez notre chance de vivre dans un pays démocratique ! Avons-nous le droit de refuser l’asile à ceux qui se sont mis en danger parce qu’ils ont voulu s’engager pour promouvoir les droits des femmes, l’éducation, le respect des minorités, la liberté religieuse…?

Bien sûr, il ne faut pas pour autant que l’Etat belge ou ses représentants n’assument pas leurs responsabilités vis-à-vis des citoyens qui chez nous vivent de profondes difficultés à cause des catastrophes comme les inondations ou des crises économiques et sociales et qui n’arrivent pas à s’en sortir. Le devoir humanitaire ne dispense pas des autres devoirs que la collectivité a envers ses membres les plus fragiles.

Soyons lucides. Nous, belges, ne pouvons pas à nous seuls accueillir tous les réfugiés qui cherchent une possible autre vie dans un pays sûr. Ni l’Italie, l’Espagne ou la Grèce non plus, qui sont en première ligne. L’Europe doit s’entendre sur la capacité de chacun d’accueillir et d’intégrer ces flux – ce qu’elle ne fait pas pour l’instant. Mais la question fondamentale – si nous voulons encore pouvoir nous regarder en face –, doit être celle-ci : si nous croyons en ces valeurs universelles qui fondent notre démocratie et garantissent nos libertés, ne devons-nous pas aider et soutenir ceux qui luttent dans tous les continents pour défendre les droits humains (sans vouloir leur imposer notre modèle économique néocapitaliste) ? Arrêter de soutenir des régimes corrompus ou totalitaires en interdisant le commerce avec eux, par exemple… Amnesty International ne cesse d’interpeller dans ce sens. Ce sont les injustices du passé (comme la colonisation) qui souvent ont débouché sur ces situations dont nous sommes en partie responsables, et qui si nous les ignorons, finissent par dégénérer en zones d’instabilité chronique qui minent les équilibres mondiaux et provoquent tant de souffrances. Les phénomènes migratoires ne vont pas cesser de sitôt, amplifiés qu’ils sont déjà par la crise climatique. Se préparer à changer nos modes de vie n’est pas une option : la raison nous l’impose, et pour les chrétiens, la Foi en une humanité où chacun est pour l’autre visage de Dieu.

Il faut cesser l’indifférence ! Essayons la justice !

Bernard Pönsgen

 

[Selon l'article 1 de la Convention de Genève (1951), un réfugié est une personne qui "craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays […]”.)