Le son de l’Espérance
Par la fenêtre de mon bureau, ce matin, je regarde le clocher de mon église
Ici, les cloches ne sonnent plus pour les baptêmes, les mariages, et même les funérailles, désormais interdites. Les messes dominicales sont désormais virtuelles, par écran interposé. Un grand voile de tristesse et d'expectative enveloppe la ville qui retient son souffle...
Quel calme ! Les bruits habituels de la circulation frénétique se sont tus. On n’entend même pas les enfants jouer… A la librairie, l’employé annonce à une cliente devant moi que demain il va devoir fermer par ordre du gouvernement qui durcit encore et encore les mesures de confinement… La dame est résignée, l’employé aussi.
Heureusement, à 20h, tout-à-coup la cité s’anime quelque peu. Aux fenêtres et aux portes, des gens apparaissent qui applaudissent à tout rompre, d’autres tapent sur des casseroles ou diffusent de la musique par des baffles, une fille joue de l’harmonica devant sa fenêtre tandis qu’un autobus passe en klaxonnant, rendant ainsi hommage aux « blouses blanches » qui se démènent dans les hôpitaux ou ailleurs pour protéger et sauver des vies en prenant des risques pour eux-mêmes. Des héros !
A ce joyeux charivari s’ajoute le son des cloches des églises, qui dans tout le pays, comme une « Pâque » avant la lettre, annonce chaque jour à la même heure que le mal n’aura pas raison de la Vie ; que l’amour de Dieu et la fraternité humaine vaincront les germes de la mort. Quel beau bruit !
Ce son est celui de l’Espérance, comme l’écrivait jadis le grand poète Charles Péguy :
« La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’Espérance.
La Foi ça ne m’étonne pas.
Ce n’est pas étonnant.
La Charité, dit Dieu, ça ne m’étonne pas.
Ça n’est pas étonnant.
Ces pauvres créatures sont si malheureuses qu’à moins d’avoir un cœur de pierre,
comment n’auraient-elles point charité les unes des autres.
Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’Espérance.
Et je n’en reviens pas.
L’Espérance est une toute petite fille de rien du tout.
Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.
C’est cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversa les mondes révolus.
La Foi va de soi.
La Charité va malheureusement de soi.
Mais l’Espérance ne va pas de soi.
L’Espérance ne va pas toute seule.
Pour espérer, mon enfant, il faut être bienheureux,
il faut avoir obtenu, reçu une grande grâce.
La Foi voit ce qui est.
La Charité aime ce qui est.
L’Espérance voit ce qui n’est pas encore et qui sera.
Elle aime ce qui n’est pas encore et qui sera.
Sur le chemin montant, sablonneux, malaisé.
Sur la route montante.
Traînée, pendue aux bras de des grandes sœurs, Foi et Charité,
qui la tiennent par la main,
la petite espérance s’avance.
Et au milieu de ses deux grandes sœurs elle a l’air de se laisser traîner.
Comme une enfant qui n’aurait pas la force de marcher.
Et qu’on traînerait sur cette route malgré elle.
Et en réalité
c’est elle qui fait marcher les deux autres.
Et qui les traîne, et qui fait marcher le monde.
Et qui le traîne.
Car on ne travaille jamais que pour les enfants.
Et les deux grandes ne marchent que pour la petite ».
(Charles Péguy , 1873-1914)
Bonne marche vers la résurrection de Pâques !
Bernard, prêtre