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jeudi 22 juillet 2021

"TE DEUM" DU DOYENNE : INTERVENTIONS DU DOYEN KANDA ET DE LA PASTEURE F. NIMAL

 Discours du Doyen de Verviers Stanis Kanda 

à l'occasion du Te Deum 

église sainte-Julienne - 21 juillet 2021



Madame la Bourgmestre,

Mesdames et Messieurs les membres du Collège et du Conseil,

Messieurs les représentants de la Zone de Police et des Services de Secours,

Mesdames et Messieurs les représentants des Groupements Patriotiques,

Mesdames et Messieurs, en vos titres et qualités,

Chers frères et sœurs en humanité,

 

En ce jour du 21 juillet 2021, nous sommes réunis pour chanter le TE DEUM, hymne latin chrétien, à l'occasion de services solennels d'action de grâce et dans toutes les circonstances où l'on veut remercier Dieu de quelque chose. Il y a aujourd'hui 190 ans, en 1831 que commençait l'histoire de notre pays, la Belgique en tant que telle, par le serment royal constitutionnel.

Durant la nuit du 14 au 15 juillet passé, dans notre région de Verviers nous étions face à une terrible épreuve : une inondation jamais connue par ici depuis 1956. Ce serait peu de chose que de la qualifier de dévastatrice et catastrophique.

Cet horrible déferlement des eaux dans nos rues a fait disparaître plus de 36 personnes, sans compter les habitations et les biens matériels plongeant des familles entières dans la tristesse et le désespoir sans précédents.

Quelle n'a pas été en effet notre détresse, au matin du 15 juillet, quand nos yeux effarés cherchaient, par-delà les détritus jonchant les rues de toute part, ne fut-ce qu'un début d'explication à ce qui nous était tombé la nuit.

Nous étions comme devant un miroir grossissant de nos faiblesses et de nos dysfonctionnements. Car, malgré les signes avant-coureurs à l'évènement, nous n'avions fait preuve d'aucune anticipation à beaucoup d'échelles de décisions. Aurais-je à évoquer simplement la mise en garde du rapport du GlEC de 1990 où Mr Jean Pascal Van lperzeel, à titre de chercheur et de président du GIEC, mettait bien en garde sur les 2 conséquences majeures du réchauffement climatiques : la canicule (vent du Sud) et les pluies torrentielles (vent du Nord). Onze ans après, nul ne peut se targuer les mérites de l'avoir écouté.

Alors que la nature s'est ainsi déchaînée, c'est pour nous l'occasion de saluer l'ouragan de solidarité qui n'a pas arrêté de dire son mot. Vais-je oublier quand pendant une vingtaine de minutes, mes voisins et moi nous n'avions cesser d'entendre les bruits de l'eau déferlante, des voitures emportées et des poubelles... Un autre bruit bien plus fort dominait : le poignet de notre voisine coincée au n°10 Rue des Raines dominait par ses « boum, boum ›› à la fenêtre, criant au secours. Entendre cela impuissamment du haut des fenêtres s'éteindre progressivement jusqu'à ce que cette cadence diminue et disparaisse dans la violence du bruit de l'eau. C'est horrible... Horribles comme ces autres drames de cette nuit d'enfer que la presse a repris au lendemain.

Même si cette nuit a emporté tant d'énergie et d'espoir, il serait tout indiqué de saluer la bravoure des solidarités que nous vivons en ce moment. Cette solidarité nous amène à reconnaître combien nous sommes concernés et responsables les uns des autres.

A l'issue de ce drame, nous sommes invités à mettre sur pied une nouvelle philosophie de vie, une société enfin unie, dans un effort commun, une société tournée vers toutes et tous. Nous nous devons de nous réunir, quelles que soient nos convictions philosophiques, politiques ou religieuses, pour mener à bien ce combat collectif dans le respect de la nature. Si l'apocalypse que nous avons frôlée, elle nous vient de certains choix de sociétés, il est temps de réfléchir à nos modèles de comportements et d’éviter des erreurs dans le futur.

Je me dois de rappeler que la devise de notre pays est « l'union fait la force ››, cette phrase qui fut prononcée par Louis Surlet de Choquier lors de sa prestation de serment du 25 février 1831. Il s'agissait alors d'unir nos forces pour défendre notre Etat encore fragile et menacé par les armées de Guillaume 1er des Pays-Bas que nous venions de repousser pour notre liberté.

Aujourd'hui, nous nous devons de perpétrer cette citation en faveur de toutes les communautés linguistiques, politiques, religieuses et culturelles. Nous devons nous battre pour la santé de toutes et tous Et le chemin est loin, très loin encore d'être achevé. Et nous n'avons pas encore dit notre dernier mot. La nature non plus d'ailleurs. Elle s'est calmée ou tue pour nous observer juste le temps que nos comportements écologiques changent.

La nouvelle guerre est d'ordre d'une écologie intégrale à promouvoir. Les héros d'aujourd'hui ne portent pas de fusils. Ils sont en blouses blanches, en salopettes, en soutane, etc. Avec en mains des brosses, des bêches, des torchons, des balais.

C'est pour cette raison que je voudrais appeler dans ce chœur des représentants pour allumer ces cierges, en guise de mémoire solidaire pour les personnes qui nous ont quittés et celles qui ont tout perdu pour éclairer notre avenir d'un espoir bien réel. Que notre conscience collective trouve ses fondements dès à présent dans cette célébration du Te Deum.


Te deum du 21/07/2021 en l’église Sainte Julienne de Verviers :
prédication de Françoise Nimal,
pasteure de l’Église Protestante Unie de Belgique à Verviers-Hodimont

 


Lectures :
« Ensemble », Pierre Rapsat
Evangile : Marc 2, 1-12

 

« Je te le dis, lève-toi, prends ton brancard, et rentre dans ta maison. »

 

Qu’ils sont cruels ces mots aujourd’hui, de cet évangile que nous avions choisi il y a quelques temps,
cruels pour celles et ceux qui n’ont pu rentrer dans leur maison que pour sauver de la boue quelques maigres souvenirs.
cruels pour celles qui n’ont pas pu rentrer, parce que tout allait s’effondrer,
cruels pour ceux qui pleurent un.e proche emporté.e par la furie des flots.

Cruels comme serait chaque mot quand on est à terre et qu’on a tout perdu.

Nos mots sont maigres et nous voudrions être prophètes
avec quelque chose qui ne serait pas cruel,
avec des mots qui font du bien, qui réconfortent et qui consolent.

J’aimerais vous dire de ces mots, j’aimerais…
et je n’ai que le maigre écho de la foule de Capharnaüm…

Que dire ? Bien sûr, la désolation, la consternation, la compassion. Nos cœurs et nos bras avec les personnes sinistrées sont plus efficaces que des mots, et sans doute nous n’avons qu’une hâte, enlever, robe pastorale, chasuble, vêtements du dimanche et costume d’apparat, retourner enfiler nos bottes ou continuer à trier des dons…

Mais en même temps, après des heures de travail pour venir en aide aux sinistrés, parfois même alors qu’on est soi-même sinistré, il y a aussi la fatigue, qui demande qu’on se pose, qu’on prenne une pause. Et il y a le besoin de garder de l’énergie pour la recherche de réponses à moyen et long terme aux défis de notre monde, dont le dérèglement climatique, qui, c’est un fait, amènera encore bien des catastrophes.

S’arrêter un instant pour poser aussi, quelque part, peut-être, le sentiment d’impuissance devant l’ampleur de la tâche pour se relever. Comment, par exemple, trouver des logements pour tous ceux qui ont perdu leurs maisons ou appartement, alors qu’en temps ordinaire, déjà, l’accès au logement est difficile pour tellement de personnes…

Alors les mots sont maigres et pauvres.

Mais il y a des gestes prophétiques.

A côté du travail remarquable des services communaux et autres, des pompiers, de la protection civile, de l’armée… La grande solidarité dont notre région a bénéficié, avec des élans d’entraide venus de tous les horizons. C’est une des choses qui prédominent parmi les sinistrés : ils témoignent de la grande humanité reçue, vécue, partagée. C’est comme le titrait le journal le Soir lundi, « Le temps de la solidarité ».

Oui, dans l’épreuve, on redécouvre la fragilité commune de l’humanité, et ce qui relève, ce qui sauve en définitive, c’est l’entraide et la fraternité.

Le passage biblique que nous venons de réentendre ne dit pas autre chose. Au côté d’un homme allongé sur une civière, ses amis se dressent, retroussent leurs manches comme d’autres ici ont saisi pelles et raclettes, et font ce qu’ils peuvent, font le nécessaire, pour forcer le passage vers le salut qui dans cette histoire est incarné par Jésus.

Et qu’est-ce qui va remettre cet homme debout, qu’est-ce qui va le remettre en marche ?

Jésus voit leur foi, nous dit le texte. Leur foi. Non pas la foi de l’homme à terre, mais la foi de ceux qui l’aident, qui le portent, qui veulent pour lui un avenir meilleur. La solidarité c’est d’avoir foi pour l’autre, c’est d’espérer encore, avec et pour celui ou celle qui a tout perdu. Ou, plus prosaïquement, plus simplement, la solidarité, l’humanité, la fraternité, la condition essentielle de la vie, c’est de ne pas abandonner l’autre à son sort, de porter sa civière, pour que sa voix soit entendue et ses besoins rencontrés.

Cette leçon qui se trouvait déjà dans l’évangile de Marc, nous avons pu la vivre lors du plus fort de la pandémie et des confinements. Nous la vivons cruellement ces jours-ci. Pourrons-nous nous souvenir d’être solidaires, encore et encore, demain dans toutes les épreuves qui sans doute nous attendent car les catastrophes naturelles risquent de se multiplier ? Et pourrons-nous faire en sorte de mettre tout en œuvre pour éviter le plus possible de drame, en changeant radicalement nos modes de vie ?

Peut-être que vous vous dites que ce n’est pas le moment de parler de ça. Que l’on pleure d’abord les morts et que l’on console les endeuillés. Et bien sûr je me sens avec eux, le cœur gonflé de tristesse. Mais je voudrais aussi, tellement, chers amis, que notre foi soit comme celle des amis du paralytique, une foi active, qui pose les gestes nécessaires, pour que personne ne soit oublié.

Et quand je dis « personne », je dis vraiment personne. Notre humanité est commune. Il n’y a pas d’humains moins humains que d’autres, qu’ils aient ou non des papiers.

Chers amis, nous sommes le 21 juillet et que nous l’assumions ou non, notre présence ici ce matin est un signe politique, une affirmation de notre désir de vie pour notre ville, notre pays, notre démocratie, notre population, dans toute sa diversité. Même si nous ne sommes venus que pour prier. Et à l’heure où nous sommes ici, parmi les sinistrés que nous voulons reloger, il y a des personnes sans papiers. Parmi les bénévoles qui aident les sinistrés, il y a des personnes sans papiers. Et puis, il y a ceux qui sont en train de mourir de la faim, de la soif, mourir de désespoir à Bruxelles, l’ULB, à la VUB, dans l’église du béguinage parce qu’après des années de procédures et de tentatives de se faire entendre, ils n’ont plus rien à perdre.

Nous voyons dans nos rues ce que c’est d’avoir tout perdu. Nous voyons dans nos rues ce que c’est de recevoir une main tendue quand on a tout perdu.

Alors, bien sûr qu’il nous faut mettre toute notre énergie à aider les sinistrés. Mais nous sommes assez intelligents pour tourner aussi notre attention vers d’autres souffrances, d’autres besoins, assez intelligents pour comprendre qu’un être humain qui a tout perdu, qu’un être humain sur une civière, c’est un être humain.

Je ne crois pas en un Dieu tout Puissant qui pourrait empêcher des catastrophes et ne le ferait pas, et je ne crois évidemment pas non plus à un Dieu totalitaire qui nous punirait de notre outrecuidance et de notre mépris des écosystèmes, même si le lien entre l’activité humaine et les catastrophes climatiques ne fait aucun doute.  

Je ne crois pas non plus en un Dieu qui a besoin de trompettes pour qu’on chante sa gloire, même si de nombreux passages de l’Ancien Testament dépeignent cette image-là de Dieu.

Je crois en un Dieu qui est avec nous dans l’épreuve. Comme le Dieu chanté par Cabrel qui est assis sur le rebord du monde et pleure de voir ce que les hommes en ont fait.

Ce Dieu-là, à vrai dire, n’a pas besoin de nos Te deum, jamais, ni cette année ni aucune. Et ce Dieu -là pleure avec Verviers, avec Pépinster, avec Trooz, avec toute la vallée, avec toutes les villes, les quartiers dévastés, anéantis.

Ce Dieu-là enverra ses forces à ceux qui l’implorent pour reconstruire ensemble, et sans doute aux autres aussi, mais je ne ferai pas l’affront à mes amis athées de leur dire que le Dieu auquel ils ne croient pas est tout de même avec eux.

Ce Dieu-là, cette Dieu-là à laquelle je crois est assoiffée de justice et d’amour, et sans cesse nous invite à la justice et à l’amour. 

Et je suis sûre que même si nous sommes dans l’épreuve, ce Dieu-là nous supplie aussi de ne pas oublier que notre foi peut sauver les sans-papiers et leur rendre une vie digne.

Comme le dit notre concitoyen Mourad Touati, « paradoxalement, c'est dans ces moments sombres que rayonne la lumière. C'est dans ces instants tragiques que les barrières culturelles, sociales, politiques ou religieuses disparaissent au profit du seul aspect Humain. »  

Il nous faudra faire tomber beaucoup de barrières, peut-être plus que ce que nous nous croyons prêts à faire. Pour être ensemble, même si on est différents. Pour dire nous, dire nous, comme ces fresques autour des mots d’Edwy Plenel, qui rendaient notre ville si belle… Dire nous, largement, d’urgence.

Un « nous » d’ouverture et d’inclusion,
 un « nous » créateur de citoyenneté et de destin partagé. 

Dire nous, pour y inclure tous les sinistrés, toutes les victimes d’un système économique et social qui tourne fou comme une vis sans fin et détruit tout au passage, dire nous.

En pleine conscience que nous, c’est toute l’humanité, sur toutes ses civières et avec tous ses porteurs de civières, et plus largement encore nous ce sont toutes les espèces, ce sont tous les écosystèmes.  

Il y a quelque chose à sauver dans les débris de Capharnaüm. L’essentiel. Faire preuve d’humanité.

Amen.