Discours du Doyen de Verviers Stanis Kanda
à l'occasion du Te Deum
église sainte-Julienne - 21 juillet 2021
Madame la Bourgmestre,
Mesdames et Messieurs les membres du Collège et du Conseil,
Messieurs les représentants de la Zone de Police et des
Services de Secours,
Mesdames et Messieurs les représentants des Groupements
Patriotiques,
Mesdames et Messieurs, en vos titres et qualités,
Chers frères et sœurs en humanité,
En ce jour du 21 juillet 2021, nous sommes réunis pour chanter
le TE DEUM, hymne latin chrétien, à l'occasion de services solennels d'action
de grâce et dans toutes les circonstances où l'on veut remercier Dieu de
quelque chose. Il y a aujourd'hui 190 ans, en 1831 que commençait l'histoire de
notre pays, la Belgique en tant que telle, par le serment royal
constitutionnel.
Durant la nuit du 14 au 15 juillet passé, dans notre région de
Verviers nous étions face à une terrible épreuve : une inondation jamais connue
par ici depuis 1956. Ce serait peu de chose que de la qualifier de dévastatrice
et catastrophique.
Cet horrible déferlement des eaux dans nos rues a fait
disparaître plus de 36 personnes, sans compter les habitations et les biens
matériels plongeant des familles entières dans la tristesse et le désespoir
sans précédents.
Quelle n'a pas été en effet notre détresse, au matin du 15
juillet, quand nos yeux effarés cherchaient, par-delà les détritus jonchant les
rues de toute part, ne fut-ce qu'un début d'explication à ce qui nous était
tombé la nuit.
Nous étions comme devant un miroir grossissant de nos
faiblesses et de nos dysfonctionnements. Car, malgré les signes avant-coureurs
à l'évènement, nous n'avions fait preuve d'aucune anticipation à beaucoup
d'échelles de décisions. Aurais-je à évoquer simplement la mise en garde du
rapport du GlEC de 1990 où Mr Jean Pascal Van lperzeel, à titre de chercheur et
de président du GIEC, mettait bien en garde sur les 2 conséquences majeures du
réchauffement climatiques : la canicule (vent du Sud) et les pluies
torrentielles (vent du Nord). Onze ans après, nul ne peut se targuer les
mérites de l'avoir écouté.
Alors que la nature s'est ainsi déchaînée, c'est pour nous
l'occasion de saluer l'ouragan de solidarité qui n'a pas arrêté de dire son
mot. Vais-je oublier quand pendant une vingtaine de minutes, mes voisins et moi
nous n'avions cesser d'entendre les bruits de l'eau déferlante, des voitures
emportées et des poubelles... Un autre bruit bien plus fort dominait : le
poignet de notre voisine coincée au n°10 Rue des Raines dominait par ses «
boum, boum ›› à la fenêtre, criant au secours. Entendre cela impuissamment du
haut des fenêtres s'éteindre progressivement jusqu'à ce que cette cadence
diminue et disparaisse dans la violence du bruit de l'eau. C'est horrible...
Horribles comme ces autres drames de cette nuit d'enfer que la presse a repris
au lendemain.
Même si cette nuit a emporté tant d'énergie et d'espoir, il
serait tout indiqué de saluer la bravoure des solidarités que nous vivons en ce
moment. Cette solidarité nous amène à reconnaître combien nous sommes concernés
et responsables les uns des autres.
A l'issue de ce drame, nous sommes invités à mettre sur pied
une nouvelle philosophie de vie, une société enfin unie, dans un effort commun,
une société tournée vers toutes et tous. Nous nous devons de nous réunir,
quelles que soient nos convictions philosophiques, politiques ou religieuses,
pour mener à bien ce combat collectif dans le respect de la nature. Si
l'apocalypse que nous avons frôlée, elle nous vient de certains choix de
sociétés, il est temps de réfléchir à nos modèles de comportements et d’éviter
des erreurs dans le futur.
Je me dois de rappeler que la devise de notre pays est «
l'union fait la force ››, cette phrase qui fut prononcée par Louis Surlet de
Choquier lors de sa prestation de serment du 25 février 1831. Il s'agissait
alors d'unir nos forces pour défendre notre Etat encore fragile et menacé par
les armées de Guillaume 1er des Pays-Bas que nous venions de
repousser pour notre liberté.
Aujourd'hui, nous nous devons de perpétrer cette citation en
faveur de toutes les communautés linguistiques, politiques, religieuses et
culturelles. Nous devons nous battre pour la santé de toutes et tous Et le
chemin est loin, très loin encore d'être achevé. Et nous n'avons pas encore dit
notre dernier mot. La nature non plus d'ailleurs. Elle s'est calmée ou tue pour
nous observer juste le temps que nos comportements écologiques changent.
La nouvelle guerre est d'ordre d'une écologie intégrale à
promouvoir. Les héros d'aujourd'hui ne portent pas de fusils. Ils sont en
blouses blanches, en salopettes, en soutane, etc. Avec en mains des brosses,
des bêches, des torchons, des balais.
C'est pour cette raison que je voudrais appeler dans ce chœur
des représentants pour allumer ces cierges, en guise de mémoire solidaire pour
les personnes qui nous ont quittés et celles qui ont tout perdu pour éclairer
notre avenir d'un espoir bien réel. Que notre conscience collective trouve ses
fondements dès à présent dans cette célébration du Te Deum.
Te deum du 21/07/2021 en l’église Sainte Julienne de
Verviers :
prédication de Françoise Nimal, pasteure de l’Église Protestante Unie de Belgique à
Verviers-Hodimont
« Je te le dis, lève-toi, prends ton brancard,
et rentre dans ta maison. »
Qu’ils sont cruels ces mots aujourd’hui, de
cet évangile que nous avions choisi il y a quelques temps,
cruels pour celles et ceux qui n’ont pu rentrer dans leur maison que pour
sauver de la boue quelques maigres souvenirs.
cruels pour celles qui n’ont pas pu rentrer, parce que tout allait s’effondrer,
cruels pour ceux qui pleurent un.e proche emporté.e par la furie des flots.
Cruels comme serait chaque mot quand on est à
terre et qu’on a tout perdu.
Nos mots sont maigres et nous voudrions être
prophètes
avec quelque chose qui ne serait pas cruel,
avec des mots qui font du bien, qui réconfortent et qui consolent.
J’aimerais vous dire de ces mots, j’aimerais…
et je n’ai que le maigre écho de la foule de Capharnaüm…
Que
dire ? Bien sûr, la désolation, la consternation, la compassion. Nos cœurs
et nos bras avec les personnes sinistrées sont plus efficaces que des mots, et sans
doute nous n’avons qu’une hâte, enlever, robe pastorale, chasuble, vêtements du
dimanche et costume d’apparat, retourner enfiler nos bottes ou continuer à
trier des dons…
Mais
en même temps, après des heures de travail pour venir en aide aux sinistrés,
parfois même alors qu’on est soi-même sinistré, il y a aussi la fatigue, qui
demande qu’on se pose, qu’on prenne une pause. Et il y a le besoin de garder de
l’énergie pour la recherche de réponses à moyen et long terme aux défis de
notre monde, dont le dérèglement climatique, qui, c’est un fait, amènera encore
bien des catastrophes.
S’arrêter
un instant pour poser aussi, quelque part, peut-être, le sentiment
d’impuissance devant l’ampleur de la tâche pour se relever. Comment, par
exemple, trouver des logements pour tous ceux qui ont perdu leurs maisons ou
appartement, alors qu’en temps ordinaire, déjà, l’accès au logement est
difficile pour tellement de personnes…
Alors
les mots sont maigres et pauvres.
Mais
il y a des gestes prophétiques.
A
côté du travail remarquable des services communaux et autres, des pompiers, de
la protection civile, de l’armée… La grande solidarité dont notre région a
bénéficié, avec des élans d’entraide venus de tous les horizons. C’est une des
choses qui prédominent parmi les sinistrés : ils témoignent de la grande
humanité reçue, vécue, partagée. C’est comme le titrait le journal le Soir
lundi, « Le temps de la solidarité ».
Oui,
dans l’épreuve, on redécouvre la fragilité commune de l’humanité, et ce qui
relève, ce qui sauve en définitive, c’est l’entraide et la fraternité.
Le
passage biblique que nous venons de réentendre ne dit pas autre chose. Au côté
d’un homme allongé sur une civière, ses amis se dressent, retroussent leurs
manches comme d’autres ici ont saisi pelles et raclettes, et font ce qu’ils
peuvent, font le nécessaire, pour forcer le passage vers le salut qui dans
cette histoire est incarné par Jésus.
Et
qu’est-ce qui va remettre cet homme debout, qu’est-ce qui va le remettre en
marche ?
Jésus
voit leur foi, nous dit le texte. Leur foi. Non pas la foi de l’homme à
terre, mais la foi de ceux qui l’aident, qui le portent, qui veulent pour lui
un avenir meilleur. La solidarité c’est d’avoir foi pour l’autre, c’est
d’espérer encore, avec et pour celui ou celle qui a tout perdu. Ou, plus
prosaïquement, plus simplement, la solidarité, l’humanité, la fraternité, la
condition essentielle de la vie, c’est de ne pas abandonner l’autre à son sort,
de porter sa civière, pour que sa voix soit entendue et ses besoins rencontrés.
Cette
leçon qui se trouvait déjà dans l’évangile de Marc, nous avons pu la vivre lors
du plus fort de la pandémie et des confinements. Nous la vivons cruellement ces
jours-ci. Pourrons-nous nous souvenir d’être solidaires, encore et encore,
demain dans toutes les épreuves qui sans doute nous attendent car les
catastrophes naturelles risquent de se multiplier ? Et pourrons-nous faire
en sorte de mettre tout en œuvre pour éviter le plus possible de drame, en
changeant radicalement nos modes de vie ?
Peut-être
que vous vous dites que ce n’est pas le moment de parler de ça. Que l’on pleure
d’abord les morts et que l’on console les endeuillés. Et bien sûr je me sens
avec eux, le cœur gonflé de tristesse. Mais je voudrais aussi, tellement, chers
amis, que notre foi soit comme celle des amis du paralytique, une foi active,
qui pose les gestes nécessaires, pour que personne ne soit oublié.
Et
quand je dis « personne », je dis vraiment personne.
Notre humanité est commune. Il n’y a pas d’humains moins humains que d’autres,
qu’ils aient ou non des papiers.
Chers
amis, nous sommes le 21 juillet et que nous l’assumions ou non, notre présence
ici ce matin est un signe politique, une affirmation de notre désir de vie pour
notre ville, notre pays, notre démocratie, notre population, dans toute sa
diversité. Même si nous ne sommes venus que pour prier. Et à l’heure où nous
sommes ici, parmi les sinistrés que nous voulons reloger, il y a des personnes
sans papiers. Parmi les bénévoles qui aident les sinistrés, il y a des personnes
sans papiers. Et puis, il y a ceux qui sont en train de mourir de la faim, de
la soif, mourir de désespoir à Bruxelles, l’ULB, à la VUB, dans l’église du
béguinage parce qu’après des années de procédures et de tentatives de se faire
entendre, ils n’ont plus rien à perdre.
Nous
voyons dans nos rues ce que c’est d’avoir tout perdu. Nous voyons dans nos rues
ce que c’est de recevoir une main tendue quand on a tout perdu.
Alors,
bien sûr qu’il nous faut mettre toute notre énergie à aider les sinistrés. Mais
nous sommes assez intelligents pour tourner aussi notre attention vers d’autres
souffrances, d’autres besoins, assez intelligents pour comprendre qu’un être
humain qui a tout perdu, qu’un être humain sur une civière, c’est un être
humain.
Je
ne crois pas en un Dieu tout Puissant qui pourrait empêcher des catastrophes et
ne le ferait pas, et je ne crois évidemment pas non plus à un Dieu totalitaire
qui nous punirait de notre outrecuidance et de notre mépris des écosystèmes,
même si le lien entre l’activité humaine et les catastrophes climatiques ne
fait aucun doute.
Je
ne crois pas non plus en un Dieu qui a besoin de trompettes pour qu’on chante
sa gloire, même si de nombreux passages de l’Ancien Testament dépeignent cette
image-là de Dieu.
Je
crois en un Dieu qui est avec nous dans l’épreuve. Comme le Dieu chanté par
Cabrel qui est assis sur le rebord du monde et pleure de voir ce que les hommes
en ont fait.
Ce
Dieu-là, à vrai dire, n’a pas besoin de nos Te deum, jamais, ni cette année ni
aucune. Et ce Dieu -là pleure avec Verviers, avec Pépinster, avec Trooz, avec
toute la vallée, avec toutes les villes, les quartiers dévastés, anéantis.
Ce
Dieu-là enverra ses forces à ceux qui l’implorent pour reconstruire ensemble,
et sans doute aux autres aussi, mais je ne ferai pas l’affront à mes amis
athées de leur dire que le Dieu auquel ils ne croient pas est tout de même avec
eux.
Ce
Dieu-là, cette Dieu-là à laquelle je crois est assoiffée de justice et d’amour,
et sans cesse nous invite à la justice et à l’amour.
Et
je suis sûre que même si nous sommes dans l’épreuve, ce Dieu-là nous supplie
aussi de ne pas oublier que notre foi peut sauver les sans-papiers et leur
rendre une vie digne.
Comme le
dit notre concitoyen Mourad Touati, « paradoxalement, c'est dans ces
moments sombres que rayonne la lumière. C'est dans ces instants tragiques que
les barrières culturelles, sociales, politiques ou religieuses disparaissent au
profit du seul aspect Humain. »
Il
nous faudra faire tomber beaucoup de barrières, peut-être plus que ce que nous
nous croyons prêts à faire. Pour être ensemble, même si on est différents. Pour
dire nous, dire nous, comme ces fresques autour des mots d’Edwy Plenel, qui
rendaient notre ville si belle… Dire nous, largement, d’urgence.
Un
« nous » d’ouverture et d’inclusion,
un « nous » créateur de citoyenneté et
de destin partagé.
Dire
nous, pour y inclure tous les sinistrés, toutes les victimes d’un système
économique et social qui tourne fou comme une vis sans fin et détruit tout au
passage, dire nous.
En
pleine conscience que nous, c’est toute l’humanité, sur toutes ses civières et
avec tous ses porteurs de civières, et plus largement encore nous ce sont
toutes les espèces, ce sont tous les écosystèmes.
Il
y a quelque chose à sauver dans les débris de Capharnaüm. L’essentiel. Faire
preuve d’humanité.
Amen.