Article sélectionné

lundi 28 juin 2021

EDITORIAL JUILLET-AOÛT 2021

 

« Le monde d’après… pour quand ? »

 


Depuis presque une semaine, on n’entend pratiquement plus parler -en dehors de l’euro de foot- que du fameux passeport Covid-19 sensé ouvrir presque toutes les frontières aux citoyens belges et européens avides de vacances à l’étranger.  C’est le sujet n°1, témoignant de la grande inquiétude d’un belge sur trois : « Pourrons-nous enfin partir en vacances cette année ? »

Naïvement, j’avais cru que l’expérience de l’année dernière où un peu partout dans le monde les destinations étaient en zone rouge et les avions cloués au sol, obligeant les vacanciers à se rabattre sur les trips et les balades à l’intérieur de notre beau pays, j’avais cru que cette expérience leur aurait permis de découvrir et d’apprécier des plaisirs plus simples (et moins onéreux), et surtout moins coûteux sur le plan environnemental… Il n’en est rien !

Cette année, plus que jamais -car il faut rattraper le retard, c’est la ruée sur les tour-opérateurs et les aéroports. Tout cela sous le regard bienveillant des médias et du gouvernement qui soutiennent sans faille une industrie aéronautique et touristique pourvoyeuse d’emplois et de fric, mais extrêmement polluante en termes de carbone. Tout cela alors qu’on est à minuit moins une avant le point de bascule irréversible de réchauffement du climat (+4°) qui fait courir des risques énormes à l’ensemble de la planète. Sans compter les risques sanitaires avec qui on continue de jouer en trimbalant de façon exponentielle marchandises et gens d’un bout à l’autre de la terre, le Covid-19 n’étant en quelque sorte qu’un simple avertissement…

On me dira que je sors de mon rôle de pasteur en stigmatisant de la sorte un comportement si cher à tant de braves citoyens, ces vacances qu’après tout ils méritent bien ; et puis cela ne fait-il pas vivre aussi tous ces pays de destination qui -il faut le dire- sont devenus eux aussi dépendants en grande partie de l’industrie touristique ? Loin de moi l’idée de vouloir culpabiliser d’innocents voyageurs, je ne veux pas jouer sur la culpabilité, non, mais sur la responsabilité. Suivant en cela le pape François, qui appelle à un sursaut de conscience : «Celui qui veut se relever d’une chute doit se confronter avec les circonstances de son effondrement et reconnaitre les éléments de responsabilité», a-t-il soutenu, l’objectif étant, non de reconstruire ce qui était, mais de corriger ce qui ne fonctionnait pas.

 

Le constat que dresse le Pape du «monde d’avant» n’est guère édifiant : 


«Je vois un monde qui a été trompé par un sentiment illusoire de sécurité basé sur la soif de profit. Je vois un modèle de vie économique et sociale, caractérisé par tant d'inégalités et d'égoïsme, dans lequel une infime minorité de la population mondiale possède la majorité des biens, n'hésitant souvent pas à exploiter les personnes et les ressources.  Je vois un mode de vie qui ne prend pas suffisamment soin de l'environnement. Nous avons pris l'habitude de consommer et de détruire sans retenue ce qui appartient à chacun et devrait être entretenu avec respect, créant ainsi une “dette écologique” à charge des pauvres et les générations futures». 

Or, c’est le temps des choix, répète le pape, ceux-ci sont indispensables pour « ouvrir la voie à un avenir qui reconnaît la véritable égalité de chaque être humain ». 

 

Alors que chez nous on voit arriver le certificat Covid pour pouvoir partir en vacances, 90% des habitants des pays pauvres n’ont pas accès à la vaccination. C’est scandaleux. Or, confirme une représentante de l’OMS, personne ne sera en sécurité tant que le monde entier ne le sera pas.


Personnellement, je suis effaré par l’inconscience d’une grande partie de la population, qui souhaite vivre « comme avant », sans plus se poser de question. Si aucune minorité (les vieux, les personnes fragiles ou à comorbidité) ne peut être sacrifiée au bonheur de la majorité (les jeunes, les gens sains), combien plus aucune majorité (les habitants des pays pauvres) ne peut être sacrifiées au bonheur d’une minorité – nous !

 

Oui, il faut que nous quittions nos fausses sécurités pour « passer sur l’autre rive » (Mc 4,35). En aurons-nous le courage et la volonté ? 


Abbé Bernard Pönsgen