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samedi 12 juin 2021

HOMELIE 27/06/2021 - les enfants-martyrs amérindiens du Canada

 Homélie du 13ème dimanche ordinaire (27/06) :  

"Dieu, source de vie, non pas de mort - les enfants-martyrs amérindiens du Canada"



« Va en paix et sois guérie de ton mal » «   Jeune fille, je te le dis, lève-toi ». Cet agir de Jésus est un mystère qui chaque fois qu’il se laisse voir, remplit les uns de joie, d’autres de stupeur et de consternation. Il témoigne d'un Dieu de vie, et non pas de mort. 

La première lecture  (Sg 1, 13-15 ; 2, 23-24) s'ouvrait par une parole forte : « Dieu n'a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les être vivants… Dieu a créé l'homme pour une existence impérissable ». Jésus vient mettre cette parole en pratique. Dieu ne se réjouit pas de ce que notre humanité, capable d'envoyer des engins dans l'espace et rêvant de s'installer sur Mars, n'a pas encore trouvé le moyen de nourrir tous ceux qui sont sur Terre !  Et il nous invite, comme le fait l'apôtre Paul dans la seconde lecture (2 Co 8, 7-13), a avoir le souci du bien-être et de la vie des moins bien lotis que nous. 

Le souci de la vie des autres peut concerner des personnes très proches de nous comme des peuples que nous ne connaissons pas. Il y a encore des peuples entiers confrontés au manque de nourriture, à l’absence de médicaments susceptibles d’enrayer la diarrhée du nourrisson, le VIH, le coronavirus... Il y a encore des hommes et des femmes, seuls ou accompagnés de leurs enfants, qui fuient leur village, leur pays. Jésus nous indique qu’il faut faire ce qui est notre pouvoir pour donner toutes ses chances à la vie qui nous vient de Dieu.

Hélas, des religieux, des hommes et des femmes d’Eglise ont très mal compris ce devoir.

Le monde entier est à nouveau brutalement choqué par des révélations qui donnent la nausée : La découverte dans différents pensionnats canadiens de centaines de tombes d’enfants anonymes, de race amérindienne, a fait surgir au jour l’existence pendant une centaine d’années d’un système d’éducation et d’assimilation forcée qualifiée par une commission d'enquête de « génocide culturel ».

Dans ce système mis en place dans une volonté colonialiste par les gouvernements canadiens de l’époque et cogéré par les Eglises catholiques, méthodistes et anglicanes, il fallait « tuer l’indien chez l’enfant », lui arracher toutes ses racines, familiales, culturelles, religieuses, pour les remplacer par une culture et une tradition religieuse qui n’étaient pas les siennes.

Les mauvais traitement, les punitions et les privations – qui étaient courantes à l’époque dans tous les pensionnats quels qu’ils soient et qui faisaient partie de la conception que l’on se faisait de l’éducation au XIXè et au début du XXè siècle (on y dressait les enfants à peu près comme on dresse un animal), tout cela ajoutés aux maladies infectieuses transmises par les blancs aux indiens et contre lesquelles ceux-ci n’étaient pas immunisés (en plus de la mortalité infantile répandue dans tous les milieux), cela a eu raison de la santé et de la vie de nombre d’entre eux : on estime que 6000 enfants amérindiens seraient décédés sur les 150.000 qui ont transité par ces pensionnats. Certains avaient à peine 3 ans.

Comble de l’horreur : ceux-ci n’ont même pas eu droit à une inscription dans un registre ni sur une tombe ; n’étant que des indiens, ils ont simplement disparus !

Comment les Eglises ont-elles pu collaborer à un système aussi cruel ?

Je reste saisi et scandalisé profondément, douloureusement, par cette inconscience – ou plutôt cette idéologie qui dénie à l’enfant indien sa dignité intrinsèque en l’arrachant à sa famille et à ses traditions.

La congrégation des Oblats de Marie Immaculée qui principalement gérait ces institu-tions d’enfants avait déjà présenté des excuses en 1991 et reconnu sa responsabilité ; plusieurs évêques dont l’archevêque de Vancouver ont demandé pardon aux victimes et à leurs descendants, et le pape François à la suite de Benoît XVI qui l’avait déjà fait en 2009, a exprimé sa compassion aux victimes de ce système inhumain, appelant à collaborer avec les autorités pour que toute transparence soit faite dans la recherche de vérité, et ajoutant :  "Ces moments difficiles représentent un fort rappel pour nous tous à nous éloigner du modèle colonisateur et aussi des colonisations idéologiques d'aujourd'hui »

Ce mots – sans rien justifier ni excuser, expliquent un peu l’aveuglement de tant de braves religieux et religieuses qui avaient consacré leur vie à Dieu tout en vivant dans un contexte bien différent du nôtre : Si aujourd’hui on a fait le bilan critique de la colonisation, il en va autrement au siècle précédent où le modèle colonial était présenté comme le meilleur qui soit, faisant même partie du plan divin qui est de sauver par la colonisation et l’évangélisation tous les peuples  sauvages en extirpant de leurs âmes les pensées païennes…

Quant aux mauvais traitements, dans la plupart des ordres religieux de l’époque, il était habituel de se les administrer à soi-même par des mortifications, des pénitences, des jeûnes et des flagellations nombreuses ! N’oublions pas qu’on était dans une conception rigoriste d’un Dieu-juge dont il fallait craindre la colère et qui menaçait de l’enfer ceux qui péchaient. Pour l’éviter, il fallait purifier l’âme en domestiquant le corps… Forcément, ces religieux ont appliqué cela dans l’éducation – les châtiments corporels n’ont disparu progressivement qu’après le Concile.

L’Eglise a commis de nombreuses erreurs au cours de l’histoire, commettant même des crimes au nom de Dieu. En somme, elle se conduisait alors comme les Talibans aujourd’hui au Pakistan et en Afghanistan…

Si l’Eglise de maintenant a pris conscience de ses erreurs et des déviations qui se produisent quand la religion se transforme en idéologie, elle doit encore aider à la réparation des blessures profondes infligées par ses membres à des peuples et à des individus, et cela sans vouloir cacher la vérité, pour qu’une réconciliation soit possible et pour pouvoir rester crédible. De ce travail elle ne peut se dispenser si elle veut témoigner d’un Dieu non pas de la mort, mais de la vie !


Si nous voulons être guéris à notre tour de nos surdités, de nos aveuglements et de nos idéologies, touchons avec foi le vêtement de Jésus.  La vie est précieuse. A nous de vivre de cette vie de Dieu et d'avoir soin de la vie -la nôtre et celle des autres- qui nous a été confiée.  Amen.