Samedi-Saint : Le grand silence
En ce vendredi soir qui est le début du samedi juif, un grand silence s’installe autour de la dépouille du crucifié au tombeau. Un grand silence enveloppe ses disciples, éperdus et abattus.
En ce jour, pas de geste sacramentel comme au Jeudi Saint, pas de vénération comme au Vendredi Saint, pas de procession, pas de longues lectures. Les autels sont nus. Les crucifix et statues sont voilés. C’est un jour en creux. Ce n’est pas le moment pour des répétitions au presbytère ou des achats de dernière minute. Dans l’église, le dépouillement dispose au recueillement de l’oraison contemplative. Le tabernacle est ouvert, il n’y a plus rien, sauf l’attente de l’aube bienheureuse.
En ce jour de repos, le fidèle est invité à descendre dans sa « cellule intérieure », comme disait Catherine de Sienne, pour vivre un cœur à cœur amoureux avec le Christ en prolongeant sa prière d’offrande au Père.
Le seul geste qui reste à l’Église c’est le chant. Le chant des psaumes particulièrement.
Et puis, par-dessus tout, il y a le silence de Jésus, le silence du 7ème jour, quand « Tout est accompli ».
Ce silence immense nous étreint, nous bouleverse. Il rejoint tous les silences de ces entre-deux qui jalonnent notre route. L’entre-deux qui marque le début d’un deuil. L’entre-deux après un éblouissement intense d’où il faut bien redescendre ensuite. L’entre-deux de nos périodes de calme plat, dont nos confinements sanitaires successifs nous ont donné une idée. L’entre-deux du Vendredi saint à Pâques est ce moment-là où il ne se passe plus rien.
L’office des Lectures du Samedi Saint nous fait lire chaque année à ce moment-là une homélie du IV° siècle attribuée à Saint Épiphane de Salamine :
Éveille-toi, ô toi qui dors !
« Que se passe-t-il ? Aujourd’hui, grand silence sur la terre ; grand silence et ensuite solitude parce que le Roi sommeille. La terre a tremblé et elle s’est apaisée, parce que Dieu s’est endormi dans la chair et il a éveillé ceux qui dorment depuis les origines. Dieu est mort dans la chair et le séjour des morts s’est mis à trembler ».
Et le Cantique des cantiques dit : « Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles, par les biches des champs, n’éveillez pas, ne réveillez pas l’Amour, avant qu’il le veuille » (Ct 2, 7).
« Jésus ne descend pas seulement chez les morts; il descend dans sa mort; il descend dans l’état de mort et il l’habite. Il l’habite longuement, posément, gravement; ainsi lorsque nous serons nous-même en cet état, nous n’y serons pas seuls : nous le trouverons déjà habité et réchauffé par lui; Jésus s’y sera allongé, déjà, à notre place, attendant la résurrection. » [1].
Patrick Braud
[1]. François Cassingena-Trévedy, Étincelles, Ed. Ad Solem, 2004, p. 61